Demi-finales 2010 : Phoenix, une dernière danse en forme de vengeance

2 juin 2018 14:34

Alors que les demi-finales de la conférence Ouest sont proches de leurs terme, avec un suspense très relatif (on pourrait facilement aller jusqu’à dire que l’on s’y ennuie atrocement), je vous propose un petit retour 8 ans en arrière pour vous parler d’une des séries les plus marquantes de ma vie de fan. À l’époque, les Spurs étaient en playoffs, ce qui ne vous étonnera probablement pas. Et ils vont se faire éliminer par les Suns.

N’hésitez pas à prendre quelques secondes pour digérer l’information et vous familiariser avec l’idée saugrenue de voir Phoenix non seulement en playoffs, mais en plus gagner une série de playoffs. On ne commencera que quand vous vous sentirez prêt. C’est bon ? Ok, game on.


À l’orée de la saison 2009-2010, les Suns de Phoenix paraissent mal en point. Pour la première fois depuis 2004, la franchise a raté les playoffs après avoir été un des plus gros contenders de la conférence pendant 4 ans. Grand artisan de la réussite de la franchise avec son run and gun caractéristique, Mike D’Antoni est parti à New York et laisse derrière lui une équipe sans repères, garnie de noms ronflants - Steve Nash, Amar’e Stoudemire, Shaquille O’Neal, Grant Hill - mais vieillissante et qui ne semble plus à même de retrouver les sommets.

Après l’échec Terry Porter, Alvin Gentry est mis aux commandes de ce navire à la direction incertaine. L’assistant historique de D’Antoni souhaite revenir aux valeurs qui ont fait la réussite des Suns, à savoir la course, le shoot à 3 points, encore la course, et un Steve Nash qui bénéficie d’une liberté totale dans la création. Totalement inadapté à ce style, Shaquille O’Neal est envoyé à Cleveland contre Ben Wallace et Sasha Pavlovic qui seront coupés dans la foulée, plus quelques Snickers. Avec l’argent récupéré, les Suns signent Channing Frye, intérieur fuyant dont le profil répond parfaitement aux besoins de Phoenix. L’enfant du pays est à des années lumière du Shaq en termes d’impact, mais son shoot extérieur et sa capacité à étirer les défenses sont des atouts importants pour le jeu que cherche à mettre en place Alvin Gentry.

Bon, on ne va pas se le cacher, ce n’est pas le recrutement de Channing Frye qui va faire trembler les genoux des concurrents des Suns. Le déclin de Steve Nash et Grant Hill semble bien entamé, Stoudemire a encore eu des soucis de blessure en fin de saison, et mis à part Jason Richardson le reste de l’effectif ne fait pas forcément rêver. Il y a donc peu de raisons de penser que les Suns feront de grandes choses sur cette saison 2009-2010.

Et pourtant, la mayonnaise prend. Et ce n’est pas le vieux truc Amora tout pété que vous allez choper au Carrefour du coin hein, c’est de la mayonnaise de resto 5 étoiles. Du haut de ses 35 ans, Steve Nash possède encore une maestria invraisemblable et tourne à 16.5 points et 11 passes décisives par match, pour une nouvelle saison marquée du sceau du fameux club 50-40-90. À ses côtés, Amar’e Stoudemire prouve qu’il est encore l’un des meilleurs intérieurs du moment avec 23.1 pts et 8.9 rbds de moyenne. Les leaders sont en forme, et le supporting cast suit la cadence : Frye, Hill et Richardson réalisent tous des saisons solides, et le banc composé de Robin Lopez, Jared Dudley, Goran Dragic (spoiler alert : cet homme sera encensé de manière démesurée dans cet article), Leandro Barbosa et Lou Amundson se révèle bien plus performant que prévu.

Résultat ? Au lieu de s’enfoncer dans le ventre mou de la ligue, les Suns surprennent tout le monde, y compris leurs fans, et signent une saison à 54 victoires pour 28 défaites, avec un bilan de 23-6 après le All-Star break. Dans une conférence Ouest qui n’était pas moins serrée à l’époque qu’elle ne l’est aujourd’hui, Phoenix termine 3ème et attaque les playoffs avec une dalle interstellaire. Et lorsque, après avoir disposé de Portland au premier tour (Brandon Roy on t’aime), les gars de Gentry voient les Spurs se dresser devant eux, ils n’ont qu’une idée en tête : venger les souffrances reçues des mains de la bande à Pop' durant toutes ces années.

San Antonio, l’obstacle insurmontable de D’Antoni

Vous vous demandez peut-être pourquoi les Suns de D’Antoni, puisqu’ils étaient si forts et qu’ils jouaient si vite et si bien et blablabla, n’ont jamais eu de titre ? La réponse tient en deux mots : San Antonio.

On l’a dit, les Suns ont participé aux playoffs chaque année entre 2005 et 2008. Et bien à l’exception de 2006 - dont vous trouverez le récit dans l’indispensable livre Les Suns à la vitesse de la lumière -, ce sont à chaque fois les Spurs qui viennent briser les espoirs de la franchise de l’Arizona. En 2005, malgré un Stoudemire légendaire en Finale de conférence (37 pts et 9.8 rbds en moyenne), les Suns sont trop tendres pour espérer s’imposer. En 2008, l’arrivée de Shaquille O’Neal ne leur fait pas passer le cap qu’ils espéraient, et ils doivent s’incliner. Oui mais 2007 alors ?

On va essayer de rester poli et de ne pas s’étendre dessus pendant 3 heures car on réserve ça pour un article dédié, mais en gros, l’élimination des Suns par les Spurs en demi-finale de conférence en 2007 a été très difficile à digérer pour pas mal de fans. Alors que Phoenix est en train de récupérer l’avantage du terrain au game 4, Robert Horry fait une sale faute sur Steve Nash, et une échauffourée éclate. Stoudemire et Boris Diaw se lèvent du banc pour participer à la fête, et se font suspendre pour le match suivant. Alors qu’il y a 2-2 dans la série, Phoenix voit deux de ses leaders se faire suspendre pour le match 5 capital. On rappelle qu’en 2016, Draymond Green n’a pas été suspendu face au Thunder pour ses multiples coups de pied suspects, autrement plus litigieux que l’accrochage auquel se sont livrés les Suns et les Spurs. On va s’arrêter là niveau digression avant de verser dans le complotisme, mais toujours est-il que, sans leurs intérieurs, les Suns devront encore s’incliner, non sans avoir lutté héroïquement jusqu’à la fin. On vous met quand même la vidéo de l'attentat de Robert Horry, parce que la plaie est encore ouverte, et que ça fait un peu de bien d'en parler (50ème seconde).

La frustration est d’autant plus grande que cette série était une véritable Finale NBA avant l’heure. Si les Suns étaient passés, ils auraient dû affronter le Jazz en Finale de Conférence, avant de retrouver en Finales NBA un LeBron James dont le meilleur coéquipier se nommait alors Boobie Gibson. Bref, sans manquer de respect à personne, la route était assez dégagée.

Il semble assez inutile de vous dire que lorsque les retrouvailles sont officialisées en 2010, le souvenir de cette élimination est encore assez vivace dans l’Arizona. L’heure de la vengeance a sonné, BEAT SA ! BEAT SA !

Nettoyer, balayer, astiquer

Dès l’entame, Steve Nash donne le ton : avec 13 points rapides dans le premier quart-temps, le meneur est bien décidé à remporter, enfin, un game 1 face aux Spurs. Le Canadien va livrer un véritable récital sur ce match, compilant 33 points et 10 passes décisives dans son style de jeu si caractéristique. Pénétration à gogo après un pick, passe laser à un coéquipier que personne n’a vu à l’exception de Nash, tir à 3 points en tête de raquette… George Hill et Tony Parker, qui se coltinent le bonhomme, sont complètement à la rue. Inspirés par la performance de leur capitaine, Stoudemire et Richardson se mettent au diapason et chevauchent vers la victoire, 111-102. Popovich a le regard des mauvais jours, mais ce n’est que le début.

Le numéro de soliste va se muer en démonstration collective sur le match 2. Nash est moins dominant au scoring (19 pts), mais le soutien est parfait. Stoudemire et Richardson sont encore bien présents, mais contrairement au premier match, le reste de l’effectif est aussi au taquet. Hill, Dudley et Frye sortent du bois et permettent aux Suns de résister aux 29 points et 10 rebonds de Tim Duncan, donnant un avantage de 2-0 à la franchise. Cependant, comme le dit l’adage, une série de playoffs ne commence vraiment que lorsqu’une des deux équipes gagne à l’extérieur. Les Suns ont fait ce qu’ils avaient à faire, mais San Antonio a l’occasion de répondre avec les deux prochains matchs dans le Texas.

Comme on pouvait s’y attendre, les Spurs attaquent le match 3 avec violence. Aucune équipe n’est jamais revenue d’un 3-0, la victoire est donc obligatoire. Les Suns sont dépassés et prennent l’eau, comptant jusqu’à 18 points de retard en milieu de 2e quart-temps. Manu Ginobili est en grande forme, et la défense texane parvient à museler parfaitement Stoudemire qui termine le match avec 7 petits points. Phoenix est dans les cordes, encaisse les coups, mais n’abandonne pas. L’orage passe, et l’attaque de l’Arizona commence à retrouver de la fluidité pour réduire l’écart, qui tombe à seulement 6 points à mi-parcours. Ce que l’on pensait être une victoire tranquille pour San Antonio se transforme en match de playoffs tendu, où les équipes se rendent coup pour coup. Le troisième quart-temps est une bataille de tranchées à l’issue de laquelle les locaux mènent 72-71. Les Suns ont une occasion en or de frapper un très grand coup, reste à trouver la formule.

Goran, c’est à toi.

Plutôt discret jusque là avec 4 points en 24 minutes sur les deux premiers matchs (discret est un doux euphémisme, mais il m’était impossible de dire du mal de ce joueur dans ce paragraphe), le Slovène va tout simplement faire chavirer le cœur des fans de l’Arizona dans le dernier quart-temps. Un souvenir qui figure dans le panthéon de tout fan des Suns ayant vu ce match. Comme un symbole de cette équipe que personne n’attendait aussi forte, c’est le meneur remplaçant à 4 points en 2 matchs qui va faire pencher définitivement l’issue de la série en faveur de Phoenix. Je pourrais en faire des caisses et vous narrer avec passion chaque action de Dragic sur ces 12 minutes (j’ai fait le test avec mes amis à l’époque, je n’ai jamais pensé à leur demander pourquoi ils ne m’ont plus adressé la parole par la suite), mais le mieux est que vous constatiez la chose par vous-même :

Hurlements, plainte des voisins, intervention de la police, rien ne peut altérer la joie que vous ressentez dans ces moments là. Le genre de performance qui reste à jamais gravée dans un coin de votre tête, le genre de match qui vous fait comprendre pourquoi la balle orange a une place si spéciale dans votre cœur.

En parlant de cœur, celui des Spurs est assez meurtri à l’issue de cette rencontre. Aussi forts et professionnels soient-ils, ils ne se relèveront pas de ce coup de folie sorti de nulle part. Menés 3-0, ils ont maintenant pour seule ambition d’éviter le sweep. Mais comme il était écrit que rien n’irait dans leur sens sur cette série, là encore ce sera un échec. En mission et portés par les 29 points d’Amar’e Stoudemire, les Suns imposent encore leur volonté dans l’affrontement final et laissent derrière eux un adversaire désemparé. Phoenix avait des raisons d’espérer passer enfin l’obstacle, mais ce sweep complètement inattendu fait l’effet d’une véritable déflagration dans la ligue. Après avoir enchaîné les déceptions, Steve Nash et les siens se retrouvent enfin dans le camp des vainqueurs à l’issue d’une série contre les Spurs.

Le bonheur afflue dans l’Arizona, mais comme bien trop souvent, ça ne durera pas très longtemps. À égalité 2-2 avec les Lakers en Finale de Conférence, les Suns livrent un match 5 dantesque au Staples Center face aux champions en titre. Le score est de 101-101 à 3 secondes de la fin, Kobe balance une prière qui ne trouve pas la cible, mais récupérée par Ron Artest qui crucifie Phoenix au buzzer. Les mauvaises langues diront que cette action est une synthèse de ce qu’est Phoenix, et on ne peut malheureusement pas leur donner complètement tort.

Malgré la désillusion finale, la campagne 2009-2010 des Suns restera l’une des plus belles de la franchise. Personne ne pensait voir cette équipe aussi forte, aussi soudée, avec en point d’orgue le sweep à la surprise générale des Spurs, bourreaux réguliers des Suns sur la décennie. Cela peut paraître un peu bête, mais en tant que fan, cette élimination a été vécue comme une vraie catharsis, faisant tomber la frustration née de 2007 à un niveau à peu près tolérable. J’étais jeune et fougueux, que voulez-vous. Cette épopée sera d’ailleurs le chant du cygne pour le duo Nash-Stoudemire, le premier amorçant finalement son déclin alors que le deuxième file rejoindre D’Antoni à New York. La fin d’une époque dorée dans l’Arizona, mais le Soleil finira par se lever à nouveau. Dans cette vie, ou la prochaine.